Paroles d’exilé

Chère Sicile, tu as réussi à faire fuir tant de gens. Ça me fend le cœur pour toi, Sicile. Vous perdez : les plus honnêtes, les plus rêveurs, les plus intelligents, les plus courageux, les plus travailleurs..
Avant de partir, tout le monde dit que tu es devenue trop étroite, trop sale, trop barbare, trop corrompue : invivable.
Es-tu invivable Sicile, sens tu le jugement de tes enfants ? Je sais, tu seras toujours leur mère, et les vacances passées chez toi auront l’air trop peu.
Mais tu sais, Sicile, quand l’avenir est en jeu, tes « richesses » ne valent rien.

Offrez-nous de la nourriture délicieuse et douce parmi les plus savoureux au monde, elles ne parviendront toujours pas à rendre moins amer le nœud dans la gorge de ceux qui doivent se refaire une vie ailleurs, repartir à zéro.
Tu as une mer immense, des plages de conte de fées et des panoramas époustouflants qui ne peuvent toujours pas donner un emploi. Donc, je ne me fais pas d’illusions, je sais que tes richesses ne peuvent pas rendre les départs moins tristes.

Je suis trop en colère contre toi en Sicile, tu les laisses partir tout le temps si facilement, et tu resteras seule. Tout le monde s’en va. Ne te plains pas de trop d’immigrés, probablement dans quelques années, ces pauvres âmes seront les seules prêtes à s’arrêter chez toi, en plus des quelques chanceux qui arriveront à la retraite.

Peut-être que tu seras la pâture de ces quatre entrepreneurs mafieux qui veulent t’acheter. Tu seras probablement la maison des enfants de papa, ceux qui n’ont pas besoin de trouver un travail, et c’est pourquoi ils disent qu’ils ne te laisseront jamais, qu’ils sont siciliens dans le cœur et dans le sang. Pourtant, sans travail, ils n’auraient jamais pu se permettre les vacances dans votre limpidissimo mer.

Mais sans salaire, sans droits, sans avenir, avec l’amertume dans la bouche, crois-moi, tes cannoli ne semblent plus aussi savoureux. Parce que tu le sais, il y a une chose qui nous arrive toujours avant tout : la famille. Et quand il faut se sacrifier pour en maintenir ou en construire une, les siciliens sont si forts qu’ils se fendent littéralement en deux : le Cœur en Sicile, L’Esprit et les mains ailleurs, sur le lieu de travail. Tout travail : ouvrier, serveur, cuisinier, lave-vaisselle est de toute façon plus digne que ce que vous pouvez nous offrir. Et peu importe si on part pour Londres, Milan, Venise, Berlin, Rome, Bristol ; peu importe si ce travail se trouve au Danemark, Suisse, Belgique, Piémont… pour nous siciliens il s’agira toujours de « aller au Vivre dans le nord ».

Sachez, en Sicile, qu’il s’agira toujours de travail et d’argent, ce travail qui, au nord, parvient à les faire sentir tous plus décents, plus fiers ; cet argent qui circule dans les mains de trop peu de personnes : ceux qui ne le méritent pas , ceux qu’ils exploitent, ceux qui ont hérité, ceux qui ne se désespèrent pas.
Comment puis-je expliquer mon état d’esprit, Sicile ? Je ne peux pas. Aucun mot ne serait jamais en mesure d’expliquer : à chaque fois, un morceau de cœur en moins.

Avec affection, un sicilien n’importe lequel.

Alfio Caserta Bonsignore